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samedi 24 février 2007

Les portes de l'amour


Les portes de l'amour
(Conte pour adultes et adolescents)

  • Préface de l'auteur
Claude David écrit à propos de Kafka que son oeuvre procède d'une théologie juive, imaginaire où la loi est à la fois donnée et inconnue. (Préface de "Kafaka-Oeuvres complètes I", Gallimard 1976). Celle-ci débouche inévitablement sur un monde sans espoir dans lequel les personnages sont paradoxalement animés d'une immense foi.

Théologie négative (le nom de dieu n'y est jamais prononcé), à la fois juive (il existe une loi qui doit être suivie) et paulinienne (la foi est le moteur de la vie), l'oeuvre de Kafka peut aussi être vue comme une a-théologie, une mystique athée, où nulle grâce, nulle rédemption n'a de place.

Ces pages sont pour l'auteur une inépuisable source de méditation sur la contingence de l'être humain plongé dans la société moderne.

Le conte qui suit, destiné aux adultes et adolescents, est largement inspiré de l'oeuvre de Kafka. On y reconnaîtra notamment la parabole "Aux portes de la Loi", et de nombreux éléments provenant du "Château". Aux accusations de "pillage" qui pourraient lui être adressées, l'auteur répond par avance que la "loi" que Kafka essaie désespérément de dévoiler au fil de sa litérature représente vraiment le surmoi inconscient et symbolique de l'homme moderne.

Il était donc pour l'auteur aussi légitime de s'en inspirer qu'il l'a toujours été aux conteurs traditionnels de s'inspirer des antiques légendes.
  • Les portes de l'amour
La forêt jaune et rousse était baignée d'une forte odeur d'humus. Des champignons perçaient ça et là le tapis de feuilles mortes humides.

Les chevaux piafaient, impatients de rompre la monotonie du trot et de galoper enfin dans les larges clairières.

La chasse avait été bonne, le roi, le prince et L avaient rempli leurs gibecières de lièvres et de faisans. Un chevreuil était posé au travers de la croupe du cheval fougueux du roi.

- Quel bonheur, vivre au sein de ma famille, avec mon meilleur ami, dit le roi en désignant L d'un geste ample du bras, chasser, chevaucher par les campagnes et les monts, jamais être humain ne sera plus heureux que moi !

- Sans vouloir vous offenser Majesté, ne pensez vous pas que la vie de notre empereur est remplie de délices que nous ne pouvons pas imaginer? questionna L.

- Personne dans mon royaume n'a rencontré l'empereur. Il m'envoie des messagers masqués qui arrivent au château par les nuits les plus noires. Ils ne se découvrent que dans le secret de ma présence. Eux même ne l'ont jamais vu, et leur probité, honnêteté, fidélité infiniment supérieure à celle de mes meilleurs sujets, n'est qu'un pâle reflet des qualités de leurs supérieurs. Non, l'amitié ou l'amour de sa famille ne peuvent exister chez de tels êtres consacrés exclusivement au service, au devoir et à l'honneur. Le respect qu'ils m'inspirent est tel qu'il en efface l'ombre de la moindre envie ou de la moindre jalousie! Je ne pense pas que le bonheur, au sens où nous l'entendons, fasse partie de leur existence!

- Allons L, dit le prince, ne pensez donc pas aux surhommes qui composent les très hautes sphères de la hiérarchie. Nous allons rentrer au château. Huit jours de chasse loin du confort et des jeux sont bien suffisants. Il me tarde de retrouver ma mère et ma soeur. Pensez donc aux spectacles des troubadours, aux parties de cache-cache et de colin-maillard, ou encore aux joutes d'échecs que nous allons pouvoir reprendre vous et moi au coin du feu. Ne pensez-vous pas que mon père aie raison et que c'est bien cela le vrai bonheur?

- Pour ma part, répondit L, l'amitié dont le roi votre père m'honore, et le fait que vous me considériez à la fois comme un oncle, quant à mon âge, et comme un cousin, quant au jeux que nous partageons, me comble bien au-delà du bonheur que peut éprouver le plus heureux des sujets du royaume. C'est vrai, j'ai parlé comme un sot, j'ai voulu l'espace d'un instant penser comme vous, et le fait que vous acceptiez de me considérer comme votre égal est à lui seul la preuve de votre infinie supériorité... Je vous en prie ... Pardonnez-moi...

Le roi et le prince furent saisis ensemble d'un énorme accès de rire.

- Vous nous ferez toujours rire L, dit le roi, c'est pour cela que nous vous aimons. Ne soyez pas confus, vous êtes pardonné. Il nous faut maintenant redoubler de prudence, nous abordons la montagne. Il serait bon de concentrer notre esprit sur le chemin.

*****

En effet, le château était perché, isolé, aux limites du royaume, sur d'énormes montagnes bleues. Le chemin qui y menait s'amenuisait en serpentant le long de pentes abruptes et traversait parfois des gorges profondes au moyen de frêles ponts suspendus. Le moindre faux pas aurait provoqué la mort du voyageur et de son cheval.

Derrière ces montagnes s'en élevaient d'autres plus hautes et plus inaccessibles encore. C'était la que commençaient les terres personnelles de l'empereur.

Après une longue et périlleuse ascension les trois cavaliers atteignirent le pont-levis qui donnait accès a l'immense et majestueuse bâtisse.

Les trompettes résonnaient. Tout le personnel domestique manifestait une joie sincère. Les fous et les nains faisaient la roue, des sauts périlleux et mille autres cabrioles devant le cheval du roi.

A l'intérieur, la chaleur et l'intimité des appartements royaux contrastait avec l'immensité extérieure du château. Le bel agencement qu'avait su ordonner la reine et la princesse fut très vite dérangé par l'arrivée des trois chasseurs. Ils disséminaient leurs effets dans les salons et les chambres selon l'humeur et les récits de chasse, parlant avec l'un, avec l'autre tout en défaisant leurs bagages.

La reine, et la princesse écoutaient, l'une avec tendresse, l'autre avec une certaine excitation, les histoires des trois hommes.

*****

La veillée ne fut pas bien longue. Le roi avait hâte de retrouver son épouse. Le prince, dans l'impétuosité de sa jeunesse, avait dépensé toute son énergie quotidienne. La princesse et L restèrent seuls.

L regardait la princesse. Il l'avait toujours considérée comme sa propre fille ou nièce. Il l'aimait d'une tendresse sans borne. Sa grande beauté fascinait tout qui la rencontrait. Elle avait de très longs cheveux noirs dans lesquels la lumière se reflettait de roux. Sa peau, tel un or ambré, éclipsait les rayons du soleil. Ses yeux et ses épais sourcils noirs perçaient l'âme de celui qui osait soutenir son regard. Sa bouche charnue faisait penser à un fruit mûr.

Cette beauté, qui inspirait la contemplation, était infiniment surpassée par celle qui se dévoilait lorsque son visage s'animait. Dès que ses lèvres s'ouvraient, que ses yeux brillaient, que sa voie se faisait entendre, l'être à qui s'adressait ses paroles toujours suaves était littéralement subjugué comme par un ange. Il eut été impossible de blesser ou de manquer de respect a une telle splendeur.

L redoutait d'affronter le jour où la princesse rencontrerait l'amour. Quel jeune homme pourrait-il se montrer digne d'en devenir le fiancé, ou pire le mari? L détestait par avance celui qui aurait l'outrecuidance de vouloir la séduire sans posséder des qualités au moins équivalentes à celles de sa protégée.

La princesse parlait et parlait encore, adossée à la porte du salon. L était fatigué et n'osait pas rompre le charme pour franchir cet obstacle qui le séparait de sa chambre.

La princesse se tut.

- Je vais aller dormir! osa L en s'approchant de la porte.

Lorsqu'il fut près de la jeune fille, celle-ci l'embrassât, et lui donna un baisé insistant sur la bouche.

L fut tout d'abord surpris, puis obéissant comme il l'avait toujours été envers tous les membres de la famille royale, enfin, son esprit fut ravi par la suavité du baisé.

L était transporté dans un pays éloigné dans lequel ne régnait ni le froid, ni la faim, ni la peur ni la mort. Cette contrée était peuplée d'animaux. La biche côtoyait le lion et n'en éprouvait nulle crainte. Les fruits les plus délicieux poussaient sur les arbres. Des ruisseaux d'eau pure et fraîche sillonaient ces lieux. On n'y entendait que le murmure de la tiède brise, le gazouillis des oiseaux, et le doux bruit de chutes d'eau.

Quoique personne n'y avait encore pénétré, L ne se sentait pas seul. Il percevait de partout une présence douce et mystérieuse, une sorte de lumière blanche, éclatante sans être éblouissante, une chaleur qui, bien que la plus intense, ne faisait pas ressentir de brûlure.

*****

L fut réveillé de bon matin. Le majordome accompagné de deux domestiques se tenaient dans sa chambre au pied de son lit.

- Allons monsieur L, dit-il, il faut vous réveiller, vous devez vous en aller.

L fut étonné de ces paroles. Mais, il connaissait la fidélité légendaire des valets du roi, et, il savait que ceux-ci ne se serait jamais permis la moindre initiative à l'encontre de leur maître. Aussi, après s'être vêtu, il dit:

- Permettez-moi de reprendre mes bagages.

A ce moment, la voix de la princesse se fit entendre dans l'une des pièces voisines. Elle riait aux éclats. Les deux domestiques firent alors barrage de leurs corps, empêchant L de se déplacer.

- Il vaut mieux laisser tout cela et me suivre monsieur, reprit le majordome.

L s'exécuta, et suivit les trois hommes. Il sortirent des appartements royaux par une petite porte, traversèrent les cuisines, et l'on fit sortir L par l'issue par laquelle on sortait les poubelles.

La porte claqua derrière lui.

Il se retrouva dans les rues étroites qui bordaient l'arrière du palais. Celui-ci était bâti dans la capitale, qui s'étalait dans la plaine bordant un grand fleuve.

*****

Il fallut un bon moment à L pour comprendre que personne ne viendrait le chercher là où il était.

Il ne comprenait pas ce qui s'était passé. Il n'avait vécut jusque là que de la fidélité et pour la fidélité au roi. Il n'avait pas le sentiment d'avoir commis une faute, et il ne pouvait pas faire porter la responsabilité de ce qui s'était passé sur la princesse. Se souvenant de la bonté et de la grandeur du roi qui se reflettait sur chacun de ses serviteurs, il se dit que seul le monarque tenait la clef de son histoire.

Il se résolut alors, de se tenir devant la porte de service du palais par où entraient et sortaient les serviteurs, afin de demander au majordome de le rappeler au bon souvenir du roi.

Le majordome sortait rarement du palais. Et, lorsqu'il passait, toujours en carrosse, portant ses vêtements d'apparat brodés d'or, il reconnaissait L, mais il lui faisait comprendre par un geste qu'il n'avait pas le temps de l'écouter.

L restait là de jour, de nuit, d'hiver comme d'été. Il mendiait sa nourriture. Les intempéries avaient raidi ses articulations. Il avait fortement vieilli alors que les occupants du palais semblaient conserver leur âge.

*****

A la fin d'un hiver, lorsque la neige fondante recouvrait le sol, L tomba sans force.

Une femme qui passait par là, l'emmenât chez elle. C'était une blanchisseuse d'une quarantaine d'années, elle était blonde grande et forte. Elle vivait dans une grande pièce remplie de mannes de linge. De grandes bassines de cuivres bouillaient sur le feu. L'atmosphère étouffante, trop chaude et trop humide ne semblait pas incommoder ses nombreux enfants qui jouaient ou se disputaient. Elle déshabilla L, et lui fit prendre un bain chaud dans un de ses grands chaudrons.

Le bain sortit L de sa torpeur mais paradoxalement lui révéla sa grande faiblesse: il allait mourir bientôt. La blanchisseuse le comprit et prit pitié de lui, elle le laissât donc passer ses derniers instants chez elle.

Combien de temps dura la rêverie que fut l'agonie de L, jamais il ne le sut. Elle ne fut interrompue que par la femme qui lui dit:

- Réveillez-vous, réveillez-vous, une personne très importante veut vous voir!

L ouvrit les yeux. Un personnage grand et imposant se tenait devant lui. Il était vêtu d'un grand manteau blanc et portait un masque blanc.

- C'est un messager de l'empereur chuchota la femme.

- Je sais qui vous êtes dit le messager. Connaissant votre dévouement, je suis venu à la demande de sa majesté vous donner une dernière fois des nouvelles de la famille royale.

- Comment vont-ils demanda L?

- Le roi chasse toujours avec son fils, mais ses sorties n'ont plus la même saveur. Il n'a pas voulu retrouver un autre ami, il ne vous a pas remplacé. La reine s'est mise à faire de la musique, elle joue de la harpe.

- Et la princesse, a-t-elle un prétendant demanda L?

- Comment voulez-vous qu'elle aie un prétendant? Elle vous était destinée!

Original: 19961106-00
Version: 20070224-01

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